Mon Congo à moi … après celui de Maman

Article : Mon Congo à moi … après celui de Maman
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26 juillet 2017

Mon Congo à moi … après celui de Maman

Si « le Congo de Maman » était celui de la fin de la colonisation belge, des jupes courtes et des shorts beiges, d’un Johnny Walker sans glace versé trop chaud sur des terrasses trop blanches…, si c’était celui de Cadillac et de vieilles Citroën parcourant des routes neuves encore trop larges…, quel est le mien, un demi-siècle après ?

Six mois dans ce pays ont murmuré des souvenirs à ma mère sa vie durant.  J’y vois désormais s’égrener doucement mes années.  Que me murmurera le Congo d’aujourd’hui quand je l’aurai quitté ?

Si le Congo de Maman était celui de tous les possibles et de tous les dangers, le mien a-t-il changé ?  Il n’y a plus de « Colons » ni d’ « Indigènes », mais des « Congolais » et des « Blancs ».  Sauf que les Congolais se définissent toujours par leur tribu.  Sauf que certains aussi sont vus comme des traîtres parce que pas nés d’ici.  Sauf qu’est considéré comme « Blanc » (muzungu, mundele…) celui aussi qui, né en Afrique du Nord, en Amérique du Sud ou en Asie serait perçu dans ma vieille Europe comme… un « autre ».

Maman a joué son Congo avec des cartes qui entre mes mains n’ont plus la même valeur.  Les plus riches du Congo d’aujourd’hui, les plus extravagants, sont Noirs, pas Blancs.  Ce sont les mieux habillés aussi. Ceux à qui on donne du « Général », de l’« Honorable » ou de l’ « Excellence » même inapproprié, juste pour être sûr de ne pas se tromper.

La plupart des Blancs, eux, semblent là par hasard.  Le hasard d’une mission qui place leurs 4×4 blancs sur les routes malaisées du pays.  Un hasard qui dure depuis trop longtemps.

Route de Goma (RDC-Congo)

Dans mon Congo à moi, je conduis peu mais j’ai un chauffeur que j’abreuve de « attention aux motards, aux enfants, à la vieille maman ! ».  Dans mon Congo à moi, ma maison est entourée de murs et de barbelés.  Elle est gardée par des hommes en tenue paramilitaire avec des bottes noires qu’ils ont la fierté de maintenir parfaitement cirées pour contrer la poussière.  Dans mon Congo à moi, je n’ai pas de « boy » mais un jardinier, un chauffeur et une femme de ménage. Et on me remercie de traiter mieux « mes gens » que les riches Congolais ne le font.  Pourtant, les Blancs comme moi sont à la fois accueillis et juste tolérés.

Dans ce Congo, je ne peux pas plus que ma mère passer pour une « touriste » car le tourisme n’y est toujours pas développé.  Le pays n’a rien perdu de sa beauté pourtant, ni de sa richesse, même si l’homme Noir a largement concurrencé le Blanc pour ce qui est de détruire la nature qui l’abrite.  Mais au Congo, c’est une nature qui se venge.  On peut construire des barrages et placer quelques trop rares panneaux solaires, la seule ici qui exploite vraiment l’eau et la lumière, c’est la végétation qui toujours s’étend.  C’est elle qui semble avoir le dernier mot, qui s’évertue à combattre la pollution, mais perd devant les sachets en plastique qui parsèment les abords des maisons et colorent puis tuent cette terre si riche en profondeur.  Malgré cela, mon Congo à moi est un Congo de paysages qui s’entêtent à être époustouflants.

Le Congo de Maman était celui de la différence, car rien ne ressemblait à sa Belgique natale.   Le mien est celui des contradictions.

En fait, mon Congo « à moi » n’existe pas.  On ne s’approprie pas ce pays, on ne le comprend pas : on l’effleure seulement.  J’ai vécu presque toute ma vie dans un Etat minuscule que je n’ai jamais parcouru en entier.  Le Congo est 80 fois plus grand et 1000 fois plus varié.  A cette échelle, s’en prétendre expert est déplacé.  Nombreux pourtant sont ceux qui le commentent pompeusement.  C’est « leur » Congo.  Celui de l’unique facette d’un diamant superbement taillé.  Celui qu’ils ont appris de leurs sources bien informées.

Je veux que mon Congo à moi reste modeste : celui de mes rencontres et de mes étonnements.  Il n’est pas un chapitre de ma vie : il est dans mon regard quoi que je voie.  Être d’un pays puis vivre ailleurs, c’est tout voir autrement, à jamais.  Mon Congo à moi n’est pas mon expertise, c’est mon propre changement.

Maryse Grari

–> Pour m’entendre lire ce texte, cliquer ici.

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Commentaires

Agur Cela
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marysegrari
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Un grand merci

marysegrari
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Merci ! C'est le plus important.

Claudine
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Vous venez de jeter votre ligne à l'eau et il ne m'a fallu que quelques minutes pour me planter sur votre hameçon... Votre style me plait beaucoup. Je continue donc mon voyage chez vous, avec vous, pour mon plaisir, celui au moins de vous lire.

marysegrari
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Je suis très touchée, merci. Pour suivre les actualités de mon blog, vous pouvez vous connecter à ma page Facebook "Regard Décalé". J'ai fait un tour chez vous aussi, entre Liège et Alger. Le coup de crayon est virevoltant, plein d'énergie. Merci de m'avoir contactée.

Jean Paul Segihobe
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Super. Bonne réflexion qui questionne.

marysegrari
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Merci beaucoup. Il y a d'autres textes en ligne déjà, d'autres questionnements pour nourrir les réflexions. Bonne lecture et à bientôt.

Manuela Grisar
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Très joli texte écrit d'une plume pleine de sensibilité et d'intelligence. Belle et longue route à ton blog, Maryse! Je m'en vais découvrir tes autres articles avec plaisir et curiosité!

marysegrari
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Merci pour tes encouragements, Manuela. Oui, prends ton temps pour découvrir et partager. A bientôt peut-être.

Jeanine
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Tres evocatif (est-ce un mot?). "Mon Congo a moi n'est pas mon expertise, mais mon proper changement." I love the way you write Maryse.

marysegrari
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Thank you very much, Jeanine. Glad you enjoyed it. Stay connected for more.

Padoux
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Le Congo de Maryse!!! Tout simplement charmant! J'aime votre style. C'est très original !

marysegrari
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Merci encore, pour ces compliments. Lisez donc, si vous en avez l'occasion, la première partie, "Le Congo de Maman". Vous le trouverez sous l'onglet Recommandé/déjà publiés. Une histoire du passé. Et si vous aimez, n'hésitez pas à partager. Bonne continuation.

Prince Bugoma
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Un texte qui traduit la démarcation de l'auteur;
Des phrases toutes pleines d'originalité;
Cela me rappel le fait de "pousser une réflexion nourrie";
Lignes d'entre lesquelles j'identifie mon Enseignant.
C'est juste une grande fierté.

marysegrari
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Merci Prince. Je suis touchée. Si vous le souhaitez, aimez et abonnez-vous à ma page Facebook "Regard Décalé" (avec logo du blog), vous serez ainsi au courant de ses actualités.

Camille Kassongo
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J'aime ton style à la fois enjoué, léger, dynamique, par lequel tu me fais voyager dans le contexte passé et actuel de mon Congo. Ce Congo des paradoxes : grand mais faible, plein de potentiels et ressources mais à la population pauvre, beau avec ses splendides paysages mais dangeteux dans ses contrées prrdues essentiellement à l'Est dans ses parties pourtant les plus pourvues en richesse.
Mon Congo des talents et des contradictions ...
Exercice risqué que celui de dépeindre ce pays mythique.
Tu as osé ... je t'en félicite et t'encourage à continuer.

marysegrari
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Merci beaucoup, Camille. Tes compliments et tes encouragements me touchent. Ce Congo qui est aussi le tien, je ne veux pas le trahir dans mes écrits, juste offrir un regard décalé pour le traduire un peu.

Stephane Balume
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Pas plus de commentaires, j'aime grave et je suis jaloux, comment tu peut aimé ce pays à ce point ?

Merci Yani !

Philippe RENSON
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à ce Congo, toute ma jeunesse au Kivu et l'Ituri, ensuite à l'opposé à l'ouest, que de souvenirs enfoui au fond de la mémoire, olfactif, sensitif, visuel .... il est tellement envahissant, silencieusement par l'accueil de la population, de la nature, de l'ambiance, du vécu .... il faut pouvoir le quitter avant qu'il ne vous dévore ....

marysegrari
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Je vois tout à fait ce que tu veux dire, cher ami, et je partage ce sentiment.